Entretien avec Jean-Paul Hévin
Entretien avec Jean-Paul Hévin
Par Katia Kulawick-Assante
Invité d’honneur du Salon du Chocolat et de la Pâtisserie, Jean-Paul Hévin est une personnalité incontournable : Meilleur Ouvrier de France, grand défenseur de la culture chocolat dans le monde depuis presque 40 ans, il est aussi l’un des pionniers avec ses boutiques qui ressemblent à de véritables écrins joailliers.
Vous êtes l’invité d’honneur pour les 30 ans du Salon du Chocolat à Paris. Que va-t-il s’y passer ?
J’ai inauguré le Salon du chocolat avec un stand dès la première année, en 1995. J’y ai participé pendant de nombreuses années, notamment au fameux défilé – avec des robes ou des sculptures géantes en chocolat… C’est un honneur d’être l’invité d’honneur de ce 30ème anniversaire ! C’est toujours autant un plaisir pour moi d’y faire des interventions, master classes et expositions. Cette année, je présente des pièces iconiques, notamment des compressions en chocolat ainsi qu’une exposition photographique qui raconte 20 ans de travail autour de thèmes précis – le fil d’Ariane de mes créations chaque année. Je participe également au salon du Chocolat au Japon.
Peut-on connaître, en avant-première, le thème qui servira de fil rouge à vos créations en 2026 ?
« Des rêves et des fèves », en lien avec le centre d’excellence de traitement post-récoltes de fèves de cacao – à la fois coopérative et centre de fermentation du cacao – que j’ai cofondé au Cameroun il y a un peu plus de deux ans. Il est désormais en fonction, et je reçois déjà des fèves de cacao de ce centre ! Mon but est de créer un lien au plus près entre le producteur et le consommateur… aux origines du cacao.
C’est donc bien plus qu’une simple plantation… Comment est né ce projet ?
J’ai fait un don à une coopérative qui a construit un centre de fermentation en plein milieu des champs de cacao. Aujourd’hui, cela veut dire que tous les planteurs de la région peuvent amener leurs fèves de cacao fraiches au centre, où des personnes spécialisées dans la fermentation vont les mettre en bac, les contrôler, les analyser, les fermenter puis les sécher. Ensuite, ça part dans les pays consommateurs. Je suis un de leurs clients, mais ils en ont plein d’autres !
La production n’est pas réservée à Jean-Paul Hévin ?
Ah non ! Il est vrai que j’ai ajouté mon nom, Hévin-Nkolossang – au nom du village- et je l’ai protégé pour des raisons de sécurité, mais la production est accessible à tous. Ce qui rend le projet intéressant, c’est la qualité du cacao, bien supérieure, car le centre est géré par experts formés spécifiquement et qui y suivent un protocole précis. En termes de qualité, on passe d’une échelle de 2 à 9/10. C’est ma plus grande fierté, avec la mise en place de grands crus et du développement de l’artisanat au Cameroun, car je m’occupe aussi des concours de meilleurs pâtissiers et chocolatiers là-bas.
Cela veut dire que la fermentation est un processus que le chocolatier ne maitrise pas en général ?
Non, c’est la coopérative ou le producteur qui gère cette étape normalement. Il y a d’autres types d’organisations, mais en Afrique c’est vrai qu’il y a beaucoup de coopératives. Le centre Hévin-Nkolossang permet aussi de payer plus cher la matière première, car je considère qu’une partie de la rémunération doit retourner au planteur. La coopérative garde une partie de la rémunération pour la formation de ses équipes. Pour ma part, je suis assuré d’avoir un meilleur cacao, et la certitude que les règles déontologiques en RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) et de la protection de la forêt sont respectées. Je voudrais dupliquer ce principe le plus possible.
Il y a un aspect géopolitique dans votre métier…
Ah oui, le chocolat est une question de géopolitique ! Il y a en effet des endroits dangereux où l’on ne peut pas aller. Le Pérou, par exemple, s’est bien amélioré car il y avait des régions très difficiles d’accès d’un point de vue politique. Les producteurs ont voulu se défaire de la mafia et se sont organisés pour améliorer la qualité du cacao et pouvoir en vivre. L’état a aussi beaucoup investi pour améliorer la qualité de la matière première.
Il y a tellement d’aspects différents dans le processus du chocolatier… jusqu’à l’écrin parisien : qu’est-ce qu’un chocolat de luxe aujourd’hui ?
Je parlerais plutôt de chocolat de qualité. S’il n’est pas bien présenté, cela ne mettra pas le produit en valeur. La philosophie de ma maison a toujours été la qualité et la fraicheur, modifier et ajouter le moins possible. J’ai fondé la maison Jean-Paul Hévin sur ces piliers. Tout est organisé en fonction de ces critères. J’ai des quantités de fabrication raisonnables – c’est aussi cela, la qualité et le luxe-, un bel emballage, des clients de valeur – gustative -. Et puis le très bon cacao, il n’y a pas de mystère, se paie plus cher !
Vous avez été le premier à présenter une boutique comme une joaillerie. Comment vous est venu cette idée ?
Dès 1992, ma boutique rue Vavin a pris l’aspect d’une bijouterie… avec du chocolat en vitrine. Au Japon, on m’a proposé un corner classique dans un grand magasin, mais je tenais à avoir une cave et un bar à chocolat : je suis le seul commerçant au monde à avoir ces deux éléments gourmands dans un grand magasin, le tout dans un espace fermé. Cela a été une révolution au Japon, et c’est ce qui a fait ma notoriété au pays du Soleil Levant. C’était il y a 20 ans. Pendant de très nombreuses années, il y avait des files d’attente – parfois jusqu’à 6H – en permanence devant la boutique… Aujourd’hui, j’ai 13 boutiques au Japon, donc c’est moins le cas, mais à la Saint-Valentin les files s’allongent encore systématiquement…
Le Japon a changé votre parcours, qu’est-ce que ce pays vous a apporté ?
J’y ai vécu à deux reprises : la première fois durant an et demi pour ouvrir la boutique Peltier – une enseigne de pâtisserie aujourd’hui disparue-. J’ai appris le japonais et quand je me suis installé sur l’ile, c’était un peu plus facile pour échanger avec les équipes et lancer ma propre marque. En réalité, j’en avais besoin pour que tout soit fait comme je le souhaitais, et cela m’a beaucoup aidé. Le Japon a fait évoluer ma conception des choses : la culture du raffinement, l’attention extrême aux choses, le culte de la simplicité…
Comment vous avez découvert l’excellence ?
Aux côtés de Joël Robuchon. C’est là que j’ai découvert le raffinement, la qualité de la matière première, la délicatesse de la transformation, ce qui m’a permis d’absorber la conception du métier par ce prisme.
Faut-il être obsessionnel pour faire ce métier ?
Je pense que oui. Pas d’un point de vue négatif mais plutôt d’un point de vue positif parce que quand on est obsessionnel, on vibre pour son travail.
Qu’est-ce qui vous donne envie de continuer chaque jour ?
Je tiens à ce qu’on comprenne mon process, à faire comprendre que l’artisanat peut avoir un niveau de qualité certain et comment le conserver jusqu’au consommateur.
Ce n’est pas évident à réaliser pour le client : Evidemment, il y a la réputation de la marque, mais les gens savent très peu de choses en arrivant en boutique…
Oui, ça fait partie de mes prochains grands projets : La communication. Comment on fait un chocolat chaud, apprendre à déguster, des ateliers gourmands, etc. Autant de moments que je veux développer pour avoir une communication directe avec le client. Il faut mieux raconter la qualité, il faut la faire ressentir, c’est mon prochain combat. Il y a un énorme travail. Et pour cela, Paris est un écrin qui s’y prête à merveille !
Il y a eu une importante inflation pâtissière ces derniers temps…
C’est le moins qu’on puisse dire ! C’est même une révolution tarifaire. Le cacao a doublé de prix en quelques mois, et augmenté de presque 10 fois en quelques années. A cela s’ajoute l’inflation du prix de l’électricité, plus les autres matières premières. La vanille a baissé un peu, mais elle était à 900€ le kilo, contre 60€ il y a quelques années. Aujourd’hui, on est à 150-180 € le kg. Pourquoi ? Car les pays producteurs de vanille se faisaient voler tout leur stock : ça déstabilise toute la filière. Résultat, on trouve toutes sortes de vanille sur le marché, pas forcément tracées, mal fermentées, déséquilibrées en goût. Sans parler de la pistache, qui, avec le fameux chocolat de Dubaï, épuise le marché…
Que faut-il goûter chez Jean-Paul Hévin ?
Le Happy, le gâteau anniversaire de la maison, tout chocolat ! Les tablettes de chocolat, évidemment, les grands crus, les macarons au chocolat, les gâteaux de voyage et les bonbons de chocolat – pralinés ou grands crus de ganache. Et le chocolat en poudre pour le chocolat chaud ! J’ai d’ailleurs fait un livre sur ce sujet, avec une cinquantaine de recettes. J’ai fait des chocolats chauds avec toutes sortes de goût dans ma carrière, y compris à l’huitre, une dégustation proposée durant des salons. Ça donne de l’énergie !
Un vrai petit déjeuner de champion…
(rire) Attention, il ne faut pas mélanger, mais déguster la crème d’huitre et le chocolat chaud l’un après l’autre ! Parmi mes recettes les plus surprenantes, il y a aussi le chocolat-apéro au fromage, créé dans les années 2000 : 4 chocolats au Charolais (fromage de chèvre, poudre de noisette, poivre de Sichuan), au Pont l’Evêque (thym, noisette), à l’Epoisse (cumin, poivre de Sichuan) et au Roquefort (noix de pécan, poivre de Madagascar). Sinon, il y a quelques exceptions qui ne sont pas au chocolat : la tarte orange ou la tarte poire caramélisée, le Mazaltov -un cheesecake -, des recettes que je fais depuis toujours, avant mon évolution 100% chocolatière.
Salon du Chocolat et de la pâtisserie
Du 29 octobre au 2 novembre 2025 à Paris Expo Porte de Versailles